Broderie sur coton, stuc, bois et verre, dimensions variables
« L’espace fond comme le sable coule entre les doigts. Le temps l’emporte et ne m’en laisse que des lambeaux informes » Georges Perec, Espèces d’espaces, éd. Galilée, 2015, p. 180
Au sol de l’atelier un fragment de mur; mon expérience commença ainsi.
Le temps marque les lieux, il laisse son empreinte, il ronge là où l’espace se replie ou se dévoile. Les lieux témoignent d’une histoire. La mémoire enfouit les souvenirs en son sein pour parfois les faire remonter à la surface. Tout comme Rome cache une partie de son histoire dans les strates de la terre nous gardons la nôtre dans les plis de notre cerveau. Cette ville entremêle les espaces, les temps, l’humain, le divin, le sacré et le profane. Ses rues labyrinthiques ne sont donc pas les seules à nous désorienter.
L’admiration pour le génie humain et pour l’accomplissement artistique se teinte parfois de gêne devant la volonté de prouver l’écrasante autorité divine ou politique aux dépens de milliers d’ouvriers et d’esclaves qui ont bâti les monuments de la ville. Une architecture de l’autorité décorée des murs au plafond par une multitude de corps, de moulures et/ou de dorures qui ne laissent que peu de place au souffle. A force de vouloir toucher les cieux et côtoyer les anges, le corps ressent le besoin de s’ancrer au sol, de retrouver une certaine humilité, un effacement.
En orientant le regard vers le monde des hommes et non plus vers les hautes sphères des puissants, je contemplais cet « artisanat d’art » composé de débris et de fêlures posés à terre à des fins ornementales. La mosaïque me rappelait un autre travail d’ornement réalisé grâce à une multiplication de points : la broderie. Dès lors je ne cessais de battre le pavé en baissant les yeux pour observer le sol sacré ou profane. Dans les différents quartiers : ouvriers, bourgeois, étudiants, touristiques, dans les églises, les thermes, chez le coiffeur, dans le hall des habitations… je découvrais une multitude de motifs, de frises, d’entrelacements.
L’entrelacs. Ce mot pourrait définir Rome, où tout se mêle et passe continuellement d’un état à un autre. Tel un géomètre j’ai voulu prélever cet entre-deux, dévoiler l’ambivalence fragmentaire. En adaptant les mosaïques et les carrelages à la technique de la broderie blanche, je laisse une trace fantomatique de mon passage dans cette ville mouvante.